États-Unis – Mexique, Israël –
Cisjordanie, Afrique du Sud - Mozambique. Toutes ces barrières de
séparation ont déjà été qualifiées de « murs de la
honte », y compris par l’Union Européenne et les Etats
membres. C’est pourtant aux frontières de l’Union, en Grèce,
que l’édification d’un nouveau mur est prévue. Tentatives
désespérées, détournement des migrants vers des routes plus
mortelles, obstacle infranchissable pour les demandeurs d’asile, en
quoi ce mur serait-il plus légitime que les autres ? Les
apports réels en terme de sécurité de ce mur justifient-ils les
sacrifices en terme de justice et de liberté, de respect des droits
de l’Homme ?
La frontière entre la Grèce et la
Turquie est la plus poreuse d’Europe malgré le soutien de Frontex
aux douanes grecques. Pour pallier cette situation, alors que les
autres Etats membres critiquent l’Etat hellénique pour ce manque
de contrôle, les autorités du pays ont annoncé le 4 janvier leur
décision d’ériger un mur sur la zone la plus sensible de la
frontière avec la Turquie. Retour sur cette mesure critiquée.
La lutte contre l’immigration illégale, priorité de l’espace de liberté, sécurité et justice
Dès 1986 et l’acte unique européen,
puis dans le traité de Schengen de 1990, la perspective du marché
unique et de la suppression des contrôles aux frontières
intérieures mettait en exergue la nécessité de mesures
compensatoires. Celles-ci prenaient notamment la forme de contrôles
plus efficaces aux frontières extérieures de l’Union pour faire
face à la fois à la criminalité transnationale et à
l’immigration.
Cette préoccupation a été confirmée
par la suite lors de la création de l’ELSJ par le traité
d’Amsterdam, qui intègre l’acquis de Schengen aux traités. Le
traité de Lisbonne développe la politique commune en matière
d’asile, d’immigration et de contrôles aux frontières
extérieures tout en respectant la même optique.
Néanmoins, ce point central du pan
asile et immigration de l’ELSJ qu’est l’immigration pose des
questions pratiques en termes d’équilibre entre sécurité et
liberté, entre contrôles et respect des droits fondamentaux. A
l’heure actuelle il est évident que le pôle sécurité a été
prédominant, les mesures s’axant surtout sur la lutte contre
l’immigration illégale et moins sur les canaux de migration légale
et l’intégration des migrants. Pourtant, le lien fait récemment
entre migration et développement et la volonté d’une approche
globale de la question ouvrent une perspective de rééquilibrage.
La Grèce : reflet de l’orientation en matière d’immigration
La suppression des contrôles aux
frontières intérieures appelle des mesures à la fois normatives et
opérationnelles de contrôle aux frontières extérieures. La
situation de la Grèce a récemment nécessité l’implication de
l’ensemble des instruments à disposition. Au niveau des mesures
normatives, la Grèce, comme tous les Etats membres de l’espace
Schengen, a adopté des standards et procédures communes de
contrôle. Quant aux mesures opérationnelles, la coopération entre
Etats est organisée par différents textes et par FRONTEX, l’agence
européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux
frontières extérieures créée en 2004.
Cette agence, dont le rôle essentiel
est de venir en soutien des Etats membres dans le cadre du contrôle
aux frontières, est présente en Grèce depuis octobre 2010. En
effet, la Grèce est incapable de gérer seule l’immigration
passant par les îles la séparant de a Turquie et a demandé le
déploiement de RABITS (Rapid Border Intervention Teams). Cela a
aboutit au déploiement de quelques 200 spécialistes pour contrôler
la frontière.
Cependant, cette politique s’est
révélée insuffisante pour enrayer le flot d’immigrés qui s’est
simplement détourné des îles pour passer par la frontière
terrestre. C’est dans ce contexte que la Grèce a annoncé le 4
janvier la construction d’un mur le long de la frontière avec la
Turquie, notamment sur les 12 km les plus sensibles, là où la
frontière s’éloigne du fleuve Evros.
Une barrière contre l’immigration : mesure visible mais à l’efficacité discutable.
Suite à l’annonce
de ce projet de mur, les réactions ne se sont pas fait attendre.
Ainsi la commissaire à la sécurité Cecilia Malmström estime que
"les
murs et les grillages sont des mesures à court terme qui ne
permettent pas de s’attaquer de manière structurelle à la
question de la migration".
Cette intervention est dans la lignée de l’approche globale des
migrations prônée dans le programme de Stockholm qui met l’accent
sur la nécessité de resituer le phénomène migratoire dans un
contexte plus large tenant compte des facteurs à l’origine des
migrations.
"les
murs et les grillages sont des mesures à court terme qui ne
permettent pas de s’attaquer de manière structurelle à la
question de la migration"
D’autre part, par ce discours, la commissaire suédoise met en
évidence qu’un mur n’arrête pas mais ne fait que détourner le
problème. Cela est corroboré par les faits mais aussi par la
population. En effet, selon Ioannis Stefanakis, un habitant de la
région, « une
fois bloqués par le mur les migrants traverseront le fleuve ».
Ce phénomène de contournement est
bien connu puisqu’expérimenté par l’Union et par l’Espagne.
Ainsi, suite à l’édification de barrières autour des enclaves de
Ceuta et Melilla, les migrants prennent désormais la route plus
dangereuse les menant aux îles Canaries.
De plus, outre son efficacité
discutable, l’édification de ce mur pose des questions éthiques
plus larges qui ne concernent pas seulement la Grèce mais l’ensemble
de l’Union. En poussant les migrants à prendre des routes de plus
en plus risquées, l’Union est la cause indirecte de centaines de
morts chaque année.
En fermant
de plus en plus les points de passage et en lien avec le manque
d’information, l’amalgame entre les migrants illégaux et la
délinquance ne cesse de croître tandis que la possibilité pour les
candidats à l’asile de faire valoir leur droit se trouve limitée.
La construction du mur par la Grèce
est donc le reflet d’un problème plus large qu’est la priorité
donnée à la lutte contre l’immigration face aux autres phénomènes
de franchissement des frontières extérieures.
14 janvier 2011