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Δευτέρα 24 Σεπτεμβρίου 2012

[FR] UN «MUR» AUX PORTES DE L’ EUROPE


Considιrιe comme une passoire, la frontiθre entre la Grθce et la Turquie sera verrouillιe sur un tracι de 12,5 kilomθtres. Retour sur les paradoxes du durcissement de la surveillance des flux vers l’Europe.

texte Cristina Del Biaggio photos Alberto Campi

C’est en 2011 que la nouvelle a commence à se propager: la Grèce entamait les travaux pour la construction d’un mur dans la partie nord de la frontière terrestre qu’elle partage avec la Turquie1. Lorsqu’il sera
terminé, probablement cet automne, il sera long de 12,5 kilomètres et haut de 3 mètres, sur une frontière de plus de 180 kilomètres.


Avec cette construction, les autorités grecques entendent contrôler le flux de migrants, toujours plus enclins à traverser cette
région pour rejoindre l’espace Schengen. Alors qu’ils étaient près de 40 000 en 2009, ils ont été très exactement 57 025, deux ans plus tard, à franchir cette ligne, selon l’Annual Risk Analysis établie par l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex) en 20122. Avec 40% du total des passages, cette fontière est la plus prisée par les migrants. Les
plus nombreux sont les Afghans, suivis par les Pakistanais et les Bangladeshi, selon le rapport de l’agence Frontex.

L e mur, qui se situera sur la commune d’Orestiada, une ville de 40 000 habitants, a été surtout conçu pour stopper ce que Giorgos
Salamangas, chef de la police locale, définit comme une «attaque massive de la part des trafiquants et des immigrés». Il sera érigé
là où le fleuve Evros fait une incursion en territoire turc et où se compte le plus grand nombre d’entrées de migrants.
L ’oeuvre sera financée par la Grèce, qui a essuyé le refus de l’Union européenne (UE) de contribuer au budget du chantier. «Les
murs ou les grillages sont des mesures à court terme qui ne permettent pas de s’attaquer de manière structurelle à la question de l’immigration
clandestine», déclarait en mars dernier la commissaire européenne chargée de la sécurité, Cecilia Malström3. Pourtant, l’UE a cofinancé le système de caméras de vidéosurveillance, confie Giorgos Salamangas. Cela revient donc à financer, si non le mur luimême, en tout cas le durcissement de la barrière frontalière.

EFFICACITE CONTESTEE

Alors que les autorités grecques misent sur cette mesure architecturale pour résoudre leur «problème migratoire», sur le terrain, le consensus n’est pas unanime. Dimitri Mouzas, le maire d’Orestiada, se dit personnellement contre le projet mais il se doit de représenter la majorité de son conseil municipal qui, «à l’écoute de la population», approuve la construction du mur. L’opposition est assume par le collectif Stop Evros Wall qui se mobilise contre un projet qu’il qualifie d’«inhumain, cruel» et «inefficace» car le problème ne sera que déplacé4. Le collectif alimente régulièrment son blog avec des billets expliquant pourquoi ce mur n’aura aucun impact sur le problème grec de l’immigration.
T out dépend de l’échelle de prise en compte des problèmes, souligne Kostantinos Vafiadis, chef du personnel médical de l’hôpital de Didimoticho: «La question est algébrique: plus d’un côté et moins de l’autre, le résultat est zéro.» Ainsi, au niveau grec, la quantité de migrants n’a pas augmenté, les mouvements migratoires n’ont fait que se déplacer de la mer Egée vers la région septentrionale de l’Evros, puis, dès 2010, vers sa partie méridionale.

Le mur motivera les passeurs à conduire les migrants vers la zone méridionale de la rivière. Le flux pourrait à terme se déplacer plus au nord, vers la Bulgarie. La barrière ne fonctionnerait alors que «comme une aspirine donnée à un patient qui souffre d’un cancer», selon la métaphore de Xanthi Morfi, une avocate d’Orestiada qui s’intéresse au terrorisme et aux questions migratoires. Il représentera
«simplement» un obstacle de plus à contourner sur la route migratoire, qui deviendra plus longue et plus dangereuse. «Europa schützt die Grenzen, aber nicht die Flüchtlinge» (L’Europe protège les frontières mais pas les réfugiés), analyse Heribert Prantl, dans un article publié
dans la Süddeutsche Zeitung5.
Mais alors pourquoi bâtir un tel ouvrage contre les migrations? Selon la politologue Wendy Brown, «les nouveaux murs fonctionnent de façon théâtrale, en projetant un pouvoir et une efficacité qu’ils n’exercent pas réellement»6. Ce pouvoir est utilisé surtout au niveau local, afin de «donner l’impression, ou l’illusion», que les élus «font quelque chose», analysent Frank Neisse et Alexandra Novosseloff dans un article intitulé «L’expansion des murs: le reflet d’un monde fragmenté? 6» Si les murs semblent n’avoir aucune efficacité réelle sur leur objectif premier, stopper l’immigration dite clandestine, ils réussissent au moins en termes d’efficacité symbolique, c’est-à-dire dans leur fonction de «gestion de l’image de la frontière»7.
L es théories des spécialistes des murs et des frontières trouvent un écho sur le terrain. L’adjoint au maire d’Orestiada, Evagelos Maraslis,
admet que «le mur est avant tout un instrument psychologique pour les citoyens, une barrière visuelle qui fait en sorte que, quand quelqu’un va dans un champ, il est rassuré en pensant qu’il ne rencontrera pas de migrants».
Le mur sert à tranquilliser les habitants, qui sont tiraillés entre des sentiments de crainte face aux dizaines de visages inconnus qui traversent quotidiennement leurs bourgs et des élans humanitaires: «Tout le monde ici donne à manger aux migrants, leur donne de l’eau et des habits chauds. Ils les aident car ils savent qu’ils ont besoin d’être aidés», admet non sans un brin de fierté le maire d’Orestiada. Pourtant, lorsque, dans la gare de la ville, on demande à une dame, qui prend régulière- ment le train, ce qu’elle pense des migrants et si elle a parfois peur, elle répond que «oui, que parfois elle a peur». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les Grecs préfèrent prendre le bus pour se rendre à Alexandroupoli, ajoutet- elle. Il y a des bus pour les migrants qui partent directement des centres de detention et des bus exclusivement pour les Grecs. Évitant ainsi que les autochtones et les immigrés ne se côtoient.
Au niveau politique, c’est une stratégie de fermeture qui domine. Pour les représentants des partis traditionnels, c’est un moyen de
contrecarrer l’émergence des nouvelles forces politiques d’extrême droite, les grands vainqueurs des dernières élections. Presque inconnu
en 2009 avec 0,29% des préférences au niveau national, le parti Chryssi Aigi (Aube dorée) a obtenu le score de 6,97% en juin 2012. L’évolution est identique dans le district de l’Evros où le parti est passé de 0,26% en 2009 à 6,09% des préférences en 2012.

ENORME MALENTENDU

Sur le terrain, les soucis des migrants se situent bien loin des calculs électoraux. Tous ceux que nous avons rencontrés sur la route ou venant
tout juste de franchir la frontière posaient invariablement la même question: «Où puisje trouver le poste de police le plus proche?»
Une interrogation surprenante si l’on songe que leur entrée sur le territoire hellénique est considérée comme illégale. Cela s’explique
par une information circulant parmi les voyageurs et qui tient à une méprise: les migrants sont persuadés que la police leur livrera un permis de séjour. Khalil, un jeune Afghan qui travaillait comme traducteur pour l’armée américaine, raconte avoir reçu ce conseil d’un ami avant de quitter son pays: «Quand tu arrives en Grèce, cherche la police, elle t’amènera au camp.»
Une fois arrivés dans les centres de détention, les migrants sont identifiés et leurs empreintes digitales enregistrées, selon le règlement
de Dublin II , dans la base de données Eurodac de Lyon. Au terme de cette procédure, ils obtiennent le fameux white paper, un document qui les oblige à quitter le pays dans les trente jours. Alors qu’ils croient que ce papier leur donne la liberté de circuler sur le territoire grec durant le même délai. «Maintenant nous n’avons plus peur, car la police nous a donné ce papier qui nous permet de rester ici pendant un mois. Nous sommes libres dans ce pays», se réjouit un Bangladais à peine arrivé
à Orestiada.

CHASSE AUX MIGRANTS

Pourtant, malgré le fait que les migrants se rendent spontanément à la police, environ 600 agents et un nombre inconnu de militaires, auxquels s’ajoutent, depuis 2010, quelque 175 gardes-frontière de 26 pays européens7 (dépêchés par l’UE sur demande de la Grèce) sont déployés sur la ligne de frontière. «Nous arrêtons toutes les personnes que nous trouvons sur le bord de la rivière et nous les transférons dans les centres de détention», declare le chef de la police d’Orestiada. Avant
de concéder: «Mais les personnes que nous ne détectons pas viennent seules vers nous pour se faire arrêter. Si nous n’allons pas les chercher,
ils vont arriver tous seuls.»
Pourquoi, dès lors, déployer autant de personnel militaire? Pourquoi dépenser autant d’argent pour aller chercher des personnes qui viendraient, dans la plupart des cas, de leur plein gré? Attendre que les migrants se fassent arrêter reviendrait à donner le signal que personne ne fait rien pour lutter contre leur arrivée, laissent entendre les professionnels actifs sur la frontière, confirmant ce que la plupart des chercheurs observent.
La paradoxale chasse aux migrants qui se déroule depuis 2009 tout au long de la frontière greco-turque serait-elle avant tout un instrument psychologique, comme la construction du mur elle-même, et utilisée à des fins politiques? Une chose est sûre: le laissez-faire ne serait à l’évidence pas électoralement payant.

1. Dany, Fabien. 2011. «Un mur aux confins de l’Union
européenne», Carto 6: 27. http://wp.me/pyBl3-GT
2. Frontex 2012, Annual Risk Analysis.
http://migrantsatsea.files.wordpress.com/2012/05/
frontex_annual_risk_analysis_2012.pdf
3. Alain Salles, 2012. «Brice Hortefeux soutient le projet
de mur entre la Grèce et la Turquie.» Le Monde.
fr, 14 mars 2012. http://www.lemonde.fr/europe/
article/2011/01/27/brice-hortefeux-soutient-le-projet-demur-
entre-la-grece-et-la-turquie_1471514_3214.html
4. Heribert Prantl, 2011. Europäische Flüchtlingspolitik: Gestorben
an der Hoffnung, dans sueddeutsche.de, 4 août 2012.
http://www.sueddeutsche.de/politik/europaeischefluechtlingspolitik-
gestorben-an-der-hoffnung-1.1128073
5. Wendy Brown, 2009. «Souveraineté poreuse, démocratie
murée», dans La revue des livres, n.12.
http://www.revuedeslivres.fr/souverainete-poreusedemocratie-
muree-wendy-brown/
6. Frank Neisse and Alexandra Novosseloff, 2010.
«L’expansion des murs: le reflet d’un monde fragmenté?»,
Politique Étrangère, Hiver (4): 731–742.
7. Sergio Carrera et Guild Elspeth, 2010. «Joint Operation
RABIT 2010» – Frontex Assistance to Greece’s Border with Turkey:
Revealing the Deficiencies of Europe’s Dublin Asylum System. CEPS
«Liberty and Security in Europe», Centre for european policy
studies, Bruxelles.
8. Nicolas Verdan, 2012. Evros: la grande traversée vers
l’Europe, dans L’Hebdo du 24 mai 2012.
9. Bialasiewicz, Luiza. 2011. «Borders, Above All?», Political
Geography 30: 299–300.
10. Frank Nordhausen, 2011. Der Graben am Evros, Berliner
Zeitung, 31 août 2012. http://www.berliner-zeitung.de/

newsticker/der-graben-am-evros,10917074,10928986.html
11. Helena Smith et Ian Traynor, 2010.
Des armes pour contenir les migrants, Rouge Midi.
http://www.rougemidi.org/spip.php?article5394


LEGENDES PHOTOS:

1. LA ZONE MILITAIRE OU LE MUR EST EN TRAIN D’ETRE CONSTRUIT. ICI UN MODULE DE 3,5 METRES D’HAUTEUR ET DE 2 METRES DE LONGUEUR.

2. APRES AVOIR FRANCHI LA FRONTIERE GRECO-TURQUE, LES MIGRANTS DEMANDANT L’ASILE A ATHENES DOIVENT SE RENDRE AU DEPARTEMENT DE POLICE DES ETRANGERS, QUI CHOISIT 20 PERSONNES, MAIS ILS NE SONT CHOISIS  QUE DANS LA NUIT ENTRE LE VENDREDI ET LE SAMEDI.

3. LE FLEUVE EVROS (OU MARITSA) QUI SEPARE LE TERRITOIRE GREC DU TERRITORE TURC.

4. PARMI LES GRAFFITIS ECRITS SUR LES MURS DE CETTE MAISON ABANDONNEE ET OCCUPEE PAR DES JEUNES AFGANS, LA LISTE DES PLAQUES DES CAMIONS QUI S’ EMBARQUENT POUR PATRAS.


Facilités géographiques et politiques

Différentes raisons sont évoquées par les observateurs pour expliquer
l’explosion du nombre de passages par la frontière terrestre greco-turque à partir de 2010. Il y a par exemple celles relevées par Nicolas Verdan dans un article publié dans L’Hebdo8. D’abord une raison géographique: le fleuve Evros est plus facile à traverser que la Mer Egée et Istanbul se situe à seulement 288 kilomètres de la frontière avec la Grèce.
Puis des raisons politiques: Ankara ne demandant pas de visa aux ressortissants candidats à l’immigration en provenance de pays musulmans, il est facile pour beaucoup d’entre eux de gagner la Turquie via Istanbul avec l’un des nombreux vols charters qui atterrissent à l’aéroport Atatürk.
Si ces raisons ne souffrent aucune contestation en soi, elles n’expliquent pas l’augmentation des passages dès 2010. Le durcissement des contrôles dans la Méditerranée et dans les îles grècques en 2009 semble une piste plus pertinente pour comprendre
le changement intervenu dans les axes migratoires internationaux 1, 9, 10. à cela s’ajoute, en 2011, l’éclatement de la Lybie, pays qui, historiquement, représentait une étape importante pour les migrants d’Afrique et du Moyen Orient 11.
Mais la raison primordiale, bien que très peu soulevée dans les articles de presse, tient à ce que, en 2009, la Grèce et la Turquie ont complètement déminé leur région frontalière. Ainsi, avec la disparition des dangers dus aux mines, les passages ont considérablement augmenté.

300 passages par jour

Selon les chiffres fournis par Giorgos Salamangas, chef de la police
d’Orestiada, alors qu’en 2009, les forces de l’ordre ont arrêté 3500 migrants dans la région du nord de l’Evros, un an plus tard, elles ont
mis un terme au voyage de 36 000 aspirants à l’immigration clandestine en 2010, puis à 28 201 d’entre eux en 2011. Dans les six premiers mois de cette année, quelque 15 000 migrants ont déjà été appréhendés. Selon les observateurs sur place, si la police stoppe le passage de 75 à 100 migrants par jour, ils seraient près de 300 à traverser quotidiennement la frontière dans le «triangle de Karaagac», un territoire attribute à la Grèce en 1923 par le traité de Lausanne et permettant au fleuve Evros de faire une incursion dans le territoire turc.

LA CITÉ LA CITÉ Du 21 septembre au 5 octobre 2012 11
www.lacite.info

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