Pavlos
Pavlidis travaille depuis quatorze ans à la morgue de l’hôpital d’Alexandroupolis.
Le protocole d’identification qu’il a mis en place est désormais appliqué dans
toute la Grèce.
© Cécile
Debarge
Episode 2 /
Identifier les corps et retrouver les familles.
Lorsque les
corps ont été ramenés à terre ou retrouvés le long de la frontière, comment les
identifier et permettre aux familles de les retrouver ? Dans le nord-est de la
Grèce, un médecin légiste se démène pour leur rendre une identité et peut
compter sur des relais dans tout le pays pour tenter de retrouver leurs proches.
Il ne reste
des corps retrouvés près de l’Evros que ce que le fleuve a consenti à leur
laisser. A certains, la vie sauve pour quelques heures avant que le froid ne
glace leurs vêtements encore mouillés. On les retrouve morts d’hypothermie,
figés dans ce qui fut leur dernier instant. A d’autres, noyés avant d’atteindre
la rive, il ne reste qu’une couleur de peau que l’on devine à peine, un corps
dévoré par les eaux sombres du fleuve et l’anonymat de ceux que personne ne
pourra plus reconnaître.
Sur la
première page du dossier médical qu’il tient dans ses mains, Pavlos Pavlidis a
inscrit la mention réservée à la plupart des corps de migrants qui arrivent à
la morgue d’Alexandroupolis : Agnoston, inconnu en grec. Et entouré de rouge
sur le coin droit de la feuille, le chiffre 6. C’est le sixième corps retrouvé
près du fleuve depuis le début de l’année. « La première identification par la
police a conclu qu’il s’agissait d’un homme » explique le médecin légiste, «
mais en procédant à l’autopsie, on s’est aperçu qu’elle portait un
soutien-gorge. C’est en fait une femme, d’une trentaine d’années selon l’examen
de ses dents. Retrouvée le 2 mai 2014 à midi à Feres, vers le bas du fleuve. »
Cette fois,
aucun numéro de téléphone inscrit sur les semelles des chaussures ou dans les
replis des vêtements, aucun bijou, aucune montre, aucune ceinture de cuir
portée autour de la taille pour aider à l’identification. Rien d’autre que les
résultats du protocole soigneusement appliqué par Pavlos Pavlidis : photos du
corps, prise d’empreintes digitales, prélèvements ADN, examen dentaire. Tout
est soigneusement consigné dans l’espoir qu’un jour, un proche vienne à sa
recherche.
Dans le
bureau de Pavlos Pavlidis, des objets personnels qu’il garde précieusement si
un jour une famille vient reconnaître le corps.
© Cécile
Debarge
Depuis
quatorze ans, le médecin légiste a autopsié près de 80% des corps retrouvés sur
les berges de l’Evros. La procédure qu’il a mise en place est désormais
appliquée dans toute la Grèce. Et le petit bureau sans fenêtre qu’il occupe au
sous-sol de l’hôpital d’Alexandroupolis est parfois la première porte à
laquelle viennent frapper les familles des disparus.
D’autres
s’adressent à la Croix-Rouge internationale par le biais, notamment, de son
programme Rétablissement des Liens familiaux.
Lorsque le point de passage du migrant disparu est identifié, les
associations locales tentent de remonter la piste. A Thessalonique, dans le
nord de la Grèce, l’association Praxis a été sollicitée à deux reprises pour
retrouver des migrants disparus à la frontière. Quand un couple d’Iraniens lui
a demandé de retrouver la trace de ses deux enfants disparus pendant la traversée
de l’Evros, l’avocat de l’association, Dimitris Varadinis a immédiatement
contacté la police, les garde-côtes et les associations d’aide aux migrants
proches de la frontière gréco-turque : « Rapidement, le corps du plus jeune a
été retrouvé, il avait onze ans. L’autre est toujours officiellement porté
disparu, c’était à l’hiver 2011 », raconte le jeune avocat avant de déplorer, «
dans ces cas-là, on reçoit souvent une mauvaise nouvelle, mais plus souvent
encore, on ne reçoit pas de nouvelles du tout. »
Les
naufragés de la mer Egée
Le silence
comme seule réponse à l’inquiétude d’être sans nouvelle d’un proche, « c’est le
pire, c’est un sentiment insupportable » souffle Efi Latsoudi, attablée dans un
café de Mytilène. Cette habitante de l’île y attend un jeune Afghan venu
chercher son frère dont le téléphone ne répond plus depuis qu’il a traversé la
mer Egée. Mytilène n’est qu’à une heure et demi de ferry des côtes turques.
Depuis la construction d’un mur le long de l’Evros, la mer Egée est devenue le
principal point de passage vers la Grèce et le chapelet d’îles qui s’égrène
face à la Turquie a découvert son lot de naufragés, sans toujours savoir
comment y faire face.
« Le plus
important pour ces familles, c’est de récupérer le corps et d’organiser un enterrement
digne à la personne qui leur est chère mais c’est loin d’être facile »,
regrette Efi Latsoudi. Après avoir travaillé au bureau international de
l’université de l’Egée, puis en tant que scénariste et metteure en scène, Efi
Latsoudi a rejoint l’équipe locale de Médecins du Monde avant de ne plus se
consacrer qu’aux réseaux de solidarité avec les migrants arrivés à Mytilène.
Il y a
quelques mois, elle a aidé une Syrienne venue de Suède pour chercher le corps
de sa mère à affronter le dédale bureaucratique qui l’attendait : traducteur
assermenté, garde-côtes, police, tribunal, hôpital, aller-retour à Athènes pour
y effectuer un test ADN et permettre l’identification définitive du corps et
formalités avec les autorités suédoises pour le rapatriement. « Cela a fini par
fonctionner », conclut la quarantenaire d’un sourire amer, « c’est tout ce dont
elle avait besoin, savoir que le corps resterait près d’elle ».
«Une fois
ramenés à terre, la procédure pour identifier les corps pour ensuite retrouver
et prévenir les familles»
Reportage
de Cécile Debarge à Alexandroupolis et Mytilène dans le nord-est de la Grèce.
10/09/2014 - par Cécile Debarge