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Σάββατο 27 Σεπτεμβρίου 2014

[FR] HISTOIRES DE MIGRANTS MORTS EN MEDITERRANEE (III)


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Pavlos Pavlidis travaille depuis quatorze ans à la morgue de l’hôpital d’Alexandroupolis. Le protocole d’identification qu’il a mis en place est désormais appliqué dans toute la Grèce.

© Cécile Debarge

Episode 2 / Identifier les corps et retrouver les familles.

Lorsque les corps ont été ramenés à terre ou retrouvés le long de la frontière, comment les identifier et permettre aux familles de les retrouver ? Dans le nord-est de la Grèce, un médecin légiste se démène pour leur rendre une identité et peut compter sur des relais dans tout le pays pour tenter de retrouver leurs proches.

Il ne reste des corps retrouvés près de l’Evros que ce que le fleuve a consenti à leur laisser. A certains, la vie sauve pour quelques heures avant que le froid ne glace leurs vêtements encore mouillés. On les retrouve morts d’hypothermie, figés dans ce qui fut leur dernier instant. A d’autres, noyés avant d’atteindre la rive, il ne reste qu’une couleur de peau que l’on devine à peine, un corps dévoré par les eaux sombres du fleuve et l’anonymat de ceux que personne ne pourra plus reconnaître.

« Agnoston », inconnu en grec

Sur la première page du dossier médical qu’il tient dans ses mains, Pavlos Pavlidis a inscrit la mention réservée à la plupart des corps de migrants qui arrivent à la morgue d’Alexandroupolis : Agnoston, inconnu en grec. Et entouré de rouge sur le coin droit de la feuille, le chiffre 6. C’est le sixième corps retrouvé près du fleuve depuis le début de l’année. « La première identification par la police a conclu qu’il s’agissait d’un homme » explique le médecin légiste, « mais en procédant à l’autopsie, on s’est aperçu qu’elle portait un soutien-gorge. C’est en fait une femme, d’une trentaine d’années selon l’examen de ses dents. Retrouvée le 2 mai 2014 à midi à Feres, vers le bas du fleuve. »

Cette fois, aucun numéro de téléphone inscrit sur les semelles des chaussures ou dans les replis des vêtements, aucun bijou, aucune montre, aucune ceinture de cuir portée autour de la taille pour aider à l’identification. Rien d’autre que les résultats du protocole soigneusement appliqué par Pavlos Pavlidis : photos du corps, prise d’empreintes digitales, prélèvements ADN, examen dentaire. Tout est soigneusement consigné dans l’espoir qu’un jour, un proche vienne à sa recherche.

 
Dans le bureau de Pavlos Pavlidis, des objets personnels qu’il garde précieusement si un jour une famille vient reconnaître le corps.

© Cécile Debarge

Depuis quatorze ans, le médecin légiste a autopsié près de 80% des corps retrouvés sur les berges de l’Evros. La procédure qu’il a mise en place est désormais appliquée dans toute la Grèce. Et le petit bureau sans fenêtre qu’il occupe au sous-sol de l’hôpital d’Alexandroupolis est parfois la première porte à laquelle viennent frapper les familles des disparus.

D’autres s’adressent à la Croix-Rouge internationale par le biais, notamment, de son programme Rétablissement des Liens familiaux.  Lorsque le point de passage du migrant disparu est identifié, les associations locales tentent de remonter la piste. A Thessalonique, dans le nord de la Grèce, l’association Praxis a été sollicitée à deux reprises pour retrouver des migrants disparus à la frontière. Quand un couple d’Iraniens lui a demandé de retrouver la trace de ses deux enfants disparus pendant la traversée de l’Evros, l’avocat de l’association, Dimitris Varadinis a immédiatement contacté la police, les garde-côtes et les associations d’aide aux migrants proches de la frontière gréco-turque : « Rapidement, le corps du plus jeune a été retrouvé, il avait onze ans. L’autre est toujours officiellement porté disparu, c’était à l’hiver 2011 », raconte le jeune avocat avant de déplorer, « dans ces cas-là, on reçoit souvent une mauvaise nouvelle, mais plus souvent encore, on ne reçoit pas de nouvelles du tout. »

Les naufragés de la mer Egée

Le silence comme seule réponse à l’inquiétude d’être sans nouvelle d’un proche, « c’est le pire, c’est un sentiment insupportable » souffle Efi Latsoudi, attablée dans un café de Mytilène. Cette habitante de l’île y attend un jeune Afghan venu chercher son frère dont le téléphone ne répond plus depuis qu’il a traversé la mer Egée. Mytilène n’est qu’à une heure et demi de ferry des côtes turques. Depuis la construction d’un mur le long de l’Evros, la mer Egée est devenue le principal point de passage vers la Grèce et le chapelet d’îles qui s’égrène face à la Turquie a découvert son lot de naufragés, sans toujours savoir comment y faire face.

« Le plus important pour ces familles, c’est de récupérer le corps et d’organiser un enterrement digne à la personne qui leur est chère mais c’est loin d’être facile », regrette Efi Latsoudi. Après avoir travaillé au bureau international de l’université de l’Egée, puis en tant que scénariste et metteure en scène, Efi Latsoudi a rejoint l’équipe locale de Médecins du Monde avant de ne plus se consacrer qu’aux réseaux de solidarité avec les migrants arrivés à Mytilène.

Il y a quelques mois, elle a aidé une Syrienne venue de Suède pour chercher le corps de sa mère à affronter le dédale bureaucratique qui l’attendait : traducteur assermenté, garde-côtes, police, tribunal, hôpital, aller-retour à Athènes pour y effectuer un test ADN et permettre l’identification définitive du corps et formalités avec les autorités suédoises pour le rapatriement. « Cela a fini par fonctionner », conclut la quarantenaire d’un sourire amer, « c’est tout ce dont elle avait besoin, savoir que le corps resterait près d’elle ».

«Une fois ramenés à terre, la procédure pour identifier les corps pour ensuite retrouver et prévenir les familles»
Reportage de Cécile Debarge à Alexandroupolis et Mytilène dans le nord-est de la Grèce.


10/09/2014 - par Cécile Debarge